C'est John Daido Loori Roshi qui le premier m'a raconté l'histoire de "La Séparation de Senjo et de son âme". Ce récit est l'un des quarante-huit koans dont se compose La Barrière sans porte, recueil écrit par le maître Wumen Huikai (1183 - 1260), moine bouddhiste chinois. Ce livre, ainsi que le Recueil de la falaise bleue qui contient cent koans, accompagne souvent les disciples zen dans leur recherche de l'illumination.

Le nom de Senjo ainsi que le titre varient selon les traductions. "Quinnu se sépare de son âme élevée" et "L'âme séparée de Seijo" sont deux des nombreuses versions existantes.

Les koans sont des questions auxquelles chacun doit trouver sa propre réponse. Ils interpellent directement la partie intuitive de la conscience humaine, et non pas l'intellect. Il est impossible de les envisager de façon rationnelle, de les intellectualiser - ce serait ne pas les comprendre.

Avant tout, l'histoire de Senjo est une superbe histoire de fantômes, tout simplement ; elle me fait frissonner chaque fois que je l'entends. C'est le genre d'histoire qui laisse le lecteur avec davantage d'interrogations que de réponses - le genre de livre qu'il est impossible d'oublier après l'avoir refermé et tranquillement rangé dans une bibliothèque. Les pensées qu'il suscite ne cessent de revenir nous hanter sous des formes variées au fur et à mesure que nous avançons dans la vie.

L'histoire que vous avez entre les mains est le résultat de récits que m'ont fait trois moines zen. C'est tout d'abord le maître zen Daido Loori Roshi qui me l'a racontée. Puis, grâce à Geoffroy Shugen Arnold Sensei et à Konrad Ryushin Marchaj Sensei, ma compréhension de ce récit s'est affinée, jusqu'à ce que j'aboutisse aux Fantômes Zen. Ce conte ne nous parle pas d'un quelconque événement abstrait qui s'est produit il y a mille ans : il nous parle de nous.

En effet, je souhaitais offrir ce récit aux enfants car je sais que dès leur plus jeune âge, ils se posent beaucoup de questions au sujet de la dualité. J'ai conscience du moi que je suis avec mes parents, du moi que je suis avec mes amis, et encore d'un autre moi que je suis avec un autre groupe d'amis. Lorsque je suis avec ma mère, je suis son fils ; mais ne le suis-je pas également quand je suis avec mes amis ? N'ai-je pas un comportement différent selon les situations ? Et si mes amis veulent que je fasse quelque chose que le fils de ma mère ne ferait pas ? Dois-je trahir quelqu'un ? Me trahir moi-même ? Lorsque notre coeur est tiraillé dans deux directions opposées, où nous situons-nous ?

Ce koan est une histoire chinoise très ancienne, et pourtant elle évoque ce qui nous arrive au quotidien.

Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses aux questions posées par un koan ; celui-ci peut en revanche susciter des réactions qui révèlent qu'il a été compris. Dans le bouddhisme zen, le maître qui raconte un koan à son disciple cherche les signes révélant que ce dernier a bien assimilé la question. Et si c'est le cas, la réponse n'appartient qu'à lui.

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Jon J Muth